La crasse c'est comme la progéniture; on ne tolère que la sienne.

J'en ai marre des gens qui s'incrustent, ou plutôt, qui me forcent à les inviter chez moi.

J'en ai marre de toujours me sentir redevable envers les personnes pour qui je compte un tant soit peu.

J'en ai marre de ceux qui viennent manger mon brie sans me le demander, et qui décrochent mes cadres sans les raccrocher.

Marre des gens qui se la jouent bohème. C'est tout à fait le mot, A.

Ça m'est aujourd'hui absolument intolérable de vivre plus de quelques heures avec la même personne, exceptées exceptions : A. ma tendre colocataire, mon chat, et mes parents.

Je ne supporte pas qu'on vienne fouiner dans ma chambre, je ne veux plus qu'on touche à mes tasses, ni qu'on fasse des remarques sur les cartes postales collées sur les meubles de la cuisine et sur l'infuseur à thé en forme de cœur. J'ai désormais horreur qu'on laisse traîner un manteau sur ma moquette, et par pitié, être invité chez moi n'est pas une raison pour me fumer toutes mes clopes.

Je déteste devoir faire le ménage afin d'accueillir correctement un invité que je ne désire pas, pour ensuite le voir tout salir en moins de vingt-quatre heures.

Les gens bohèmes sont négligents et négligés, ils ne se rendent pas compte de la charge que représente le ménage, ils ne nettoient pas le moisi dans les recoins de leur baignoire, ils laissent leur couette en boule sur leur lit, ils n'aèrent pas, ils laissent les casseroles et poêles sales sur la gazinière toute la nuit, et ils n'éteignent pas les lumières quand ils passent d'une pièce à l'autre.

Je ne veux plus jamais qu'une personne que je n'ai pas désirée ardemment dorme dans mon lit, salisse mes draps, les imprègne de son odeur, de son odeur de sommeil; je trouve que l'odeur du sommeil pue, la mienne me dérange déjà, alors celle des autres, ah non, ça c'est inconcevable.

Ce weekend j'ai pu entrevoir l'étendue de mon intolérance extrême..
J'ai aspergé chaque centimètre carré de mes draps et oreillers avec une brume parfumée.

Aujourd'hui j'ai vingt et un ans, aujourd'hui je suis une vieille aigrie, et aujourd'hui j'ai peur pour mon avenir.

P.